L'actualité de la course
La saga de la Transat Jacques Vabre 2/4 - 1999. Paulo, havrais à jamais
Issu du quartier populaire de Sanvic, en surplomb des falaises et maisons bourgeoises de Sainte-Adresse, le « titi » havrais, fils de menuisier, n’aurait sans doute pas imaginé pareille destinée. Bac en poche, il débute des études de commerce, vite abandonnées pour entrer dans les paras, « un défi personnel ». Entre-temps, il a découvert la voile à l’ASPTT, initié avec son frère Pierre par Alain Gliksmann. Il en fait son nouveau défi et réussit à se faire embarquer sur les bateaux stars des années 1980, les Jet Services, Royale ou Fleury Michon, avant de commencer à voler de ses propres ailes.
Débute alors le partenariat avec la ville du Havre et la Région Haute-Normandie, dont il devient le porte-étendard. « Je me souviens d’une de ses répliques fameuses à la sortie d’un jury en Suède sur la Course de l’Europe : « Messieurs, le duc de Normandie vous salue ! » se souvient Gérard Petipas, organisateur de la Transat Jacques Vabre à partir de 1995. Il était très attaché à sa région et à sa ville et très apprécié d’Antoine Rufenacht [maire du Havre de 1995 à 2010, NDLR] qui l’a tout le temps soutenu ». Jean-Luc Nélias, qui disputera avec Vatine la Jacques Vabre en 1997 (ils se classent deuxièmes), ajoute, amusé : « Il venait d’un quartier communiste et populaire du Havre, le paradoxe était que son bateau était financé par des élus de droite ! ».
Ce soutien lui permet en tout cas de jouer dans la cour des grands et de décrocher ses deux titres sur la Jacques Vabre, dont il remporte, en 1993, l’édition inaugurale en solo sur l’ancien Fleury Michon IX, puis, en 1995, la suivante, en double sur un nouveau plan Irens, avec Roland Jourdain. Le Quimpérois évoque un « Paulo » à deux visages. « Doté d’un humour décapant et fan de Claude François - on faisait les manœuvres en chantant Alexandrie, Alexandra ! » – Vatine était aussi un marin « très judéo-chrétien : un laborieux, conscient du boulot à faire pour être à la hauteur des Bourgnon, Peyron et autres. Tout n’était que peine et travail. Il allait à fond dans tous les domaines, y compris dans la préparation mentale. Ses victoires, c’était un aboutissement, comme s’il montait les marches du festival de Cannes, mais aussi la revanche du prolétariat havrais contre la grande bourgeoisie bretonne ».
Jean-Luc Nélias met lui aussi en avant cette double facette de celui que Loïck Peyron appelait affectueusement « le prolétaire navigateur » : « Paulo, c’était un personnage romantique, une sorte de D’Artagnan de la voile, capable de grandes envolées lyriques, comme le texte qu’il avait déclamé pendant la Route du Rhum 1998 à Loïck Peyron, qui rigolait comme un bossu. » Ce dernier raconte : « On était un peu à la rue avec Paulo, il m’avait sorti une tirade sur les vieux grognards qui rentraient bredouilles d’une campagne de Russie, c’était un grand poète sans le savoir ! » Jean-Luc Nélias poursuit : « A côté de ça, comme il avait commencé la voile très tard et n’était pas issu du sérail, il ne se sentait pas toujours légitime et pour y arriver, il faisait à sa manière, très besogneuse, il se mettait pas mal de pression. » Le Havrais confiera d’ailleurs après sa victoire en 1993 à Carthagène : « J’ai atteint un sommet, je vais peut-être pouvoir être un peu plus relâché que d’habitude, je crois que c’est un énorme soulagement. »
Six ans plus tard, au moment de prendre le départ de sa quatrième Jacques Vabre avec Jean Maurel, celui qui envisage alors de passer à autre chose explique, tristement prémonitoire, au journaliste de L’Humanité venu dresser son portrait : « Je n'ai pas la passion de la mer. Traverser l'Atlantique en 1999 reste quelque chose d'éminemment difficile. On a toujours la peur du chavirage (…) J'ai perdu trop d'amis en mer. Et quand j'entends dire que Tabarly a eu une belle mort, je dis non. J'aurais préféré le voir finir ses jours tranquillement aux côtés de sa femme et de ses enfants. Moi, je ne veux pas mourir en mer. Je veux vivre sur terre. »
Quelques jours plus tard, le 21 octobre, dans des creux de dix mètres au large du Portugal, son trimaran Chauss’Europ se retourne, la mer emmène définitivement Paul Vatine, 42 ans. Jean-Luc Nélias n’a pas oublié : « Avec Marc Guillemot, on avait cassé un bras de liaison, on était sur le retour et on était revenus sur leur position, on avait alors découvert le bateau chaviré en pleine baston, j’avais filmé l’approche, on voit une silhouette à l’image, on reconnaît très bien celle de Jean Maurel, je me rends compte qu’il en manque un, je crie « Il est où Paulo ? » et Jean me fait signe qu’il n’est plus là. Après, on a passé la journée à tourner autour de lui avant l’arrivée d’un cargo, c’était terrible à vivre. » A son retour à terre, Jean Maurel confiera : « C'est la compétition qui a tué Paul, et la compétition, c'est parfois une vraie connerie. »