L'actualité de la course

Message de la mer : Halvard Mabire, Campagne de France (Imoca)

Message de la mer : Halvard Mabire, Campagne de France (Imoca)

Hello...     

Pour changer, on tire des bords.

D'ailleurs je ne comprends pas très bien pourquoi on dit "tirer des bords", vu que j'ai l'impression qu'en fait on passe plutôt notre temps à pousser de l'eau. On pousse des vagues, on pousse le vent aussi. Les Terriens pensent que le vent pousse les voiliers, mais quand on a le vent de face, heureusement que ça ne se passe pas comme ça, sinon nous n'irions pas bien loin. Tout du moins pas où nous voudrions aller. Donc c'est bien nous qui poussons le vent, ou plutôt qui glissons à travers pour arriver à avancer.

Même si c'est parfois un peu pénible, c'est tout de même assez magique de constater que nous sommes capables de remonter dans le vent. Il y a quand même eu des progrès dans l'architecture navale.

Autrefois les bateaux remontaient au vent comme la fumée. Les bateaux avec les voiles carrées arrivaient quand même à remonter au vent, mais c'étaient laborieux. Ils arrivaient à naviguer à peine mieux qu'un peu au-delà du vent de travers, et lorsqu'il fallait gagner au vent ils tiraient ce que l'on appelle des "bords carrés".

Il est ainsi intéressant de relire quelques récits historiques de marine pour comprendre à quel point la navigation à voile exigeait patience et persévérance. Par exemple, lorsque l'ex-ennemi héréditaire (c'est à dire l’Anglais) pratiquait le blocus devant le goulet de Brest pendant les guerres napoléoniennes, cela lui demandait une certaine dose d'efforts pour rejoindre la Mer d'Iroise à partir de son port d'attache de Portsmouth.

Lorsqu’il fallait faire la route en plein hiver, avec le train constant de dépressions et par conséquent les vents désespérément de secteur plus ou moins Ouest, il fallait prendre son mal en patience. Le premier bord depuis la sortie du Solent amenait les frégates devant Barfleur, le bord suivant devant Sainte-Catherine, à la pointe sud de l’ile de Wight, celui d'après devant la Hague, le suivant dans la baie de Poole, ensuite au large d'Aurigny... et ainsi de suite. Donc il n'était pas rare que le chemin aller puisse prendre jusqu'à plusieurs semaines. Si avec un peu de chance un anticyclone se développait entre temps sur le continent européen, alors le vent de Nord-Nord Est s'installait, celui que l'on appelle le vent d'amont dans notre Cotentin, et à ce moment-là rebelote pour le retour. A ce train-là, pas étonnant que la Royal Navy en fut contrainte de shangaïer ses équipages, c'est-à-dire enrôler des pauvres bougres bourrés dans les tavernes, car franchement cela ne devait pas être une partie de plaisir et il ne devait pas y avoir foule à se bousculer au portillon pour se faire secouer au près en ingurgitant de surcroît de la nourriture forcément infâme.

Donc, même si le près n'est pas très marrant, il faut penser au bon vieux temps, qui n'était d'ailleurs pas forcément si bon que ça, et se dire que l'on a bien de la chance d'être sur un voilier moderne, dont l'inconfort est compensé par une certaine vélocité. En passant, remarque pour les nostalgiques, je leur conseille de méditer quand ils vont chez le dentiste et de se remémorer ; comment cela se passait il y a encore bien peu de décennies. Sans être trop fan de la modernité, il faut bien reconnaître qu'il n'y a pas que du mauvais. Tout dépend de ce que l'on en fait et comment on utilise le "progrès"... et c'est là où ça se complique...

 

 

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